CHRISTOPHE FLORIN : Brame 2023 sauvage

Brame 2023

Pour ce compte-rendu sur mon brame, j'ai choisi de faire la synthèse du résultat de 12 affûts consécutifs sur la même place de brame et de vous faire partager mes observations et ainsi de tenter de vous illustrer la vie d'une place de brame.
« Sous les feux de la lune ». Voici ce que je vois depuis mon affût. Un des grands bonheurs du brame en montagne, c'est d'avoir une vue très étendue et de suivre des comportements qu'on ne peut pas voir ou imaginer en forêt.

Après quelques jours de prospections et de recherches, j'ai enfin vu arriver, devant l'affût, un cerf digne d’être un maître de place. Sans être exceptionnel, il est tout de même respectable. Après cette trouvaille, je ne me suis plus posé de question et j'ai consacré les 12 affûts suivants, à ce cerf. Le programme était simple : départ à 8h 00, 30 minutes de voiture, 20 minutes de vélo et 2h 15 de marche en légère montée. Le temps d'accrocher ma toile, j'étais prêt à 12h 00 pour la pause casse-croûte.

Tout ce compte-rendu se déroulera sur le versant sud d'une petite vallée d'altitude, le ruisseau qui coule en bas est à environ 1600m et les pelouses, de part et d'autres, culminent à 2000m. J'ai baptisé cette pelouse sud : la pelouse de la pyramide rouge dans mes carnets de terrain, mais cela, vous l'aviez deviné en voyant la photo !

Pour les 2 premiers affûts, je choisis de rester assez loin pour évaluer les forces en présence et pour appréhender au mieux les habitudes des animaux présents, comme celles de ce jeune cerf par exemple.

Parmi les 7 cerfs satellites que je dénombrerai, un seul cerf presque adulte, 5 ou 6 ans, celui-ci.

Tous les autres ne sont que des gamins, accompagnés ou non de biches. Celui-ci sort du ruisseau où il vient de se souiller.

Les nombreuses traces de boue sur le pelage montre bien la fréquentation assidue des souilles.

Celui-ci, je l'ai appelé : le voyageur.

Alors, pourquoi le voyageur, et bien parce que durant les 7 premiers jours, je l'ai vu apparaître vers 14h 00, bramant sur la crête en face de moi, au premier plan sur la photo, située à environ 900m à vol d'oiseau.

Ensuite, il descendait la pelouse aux points blancs (des moutons) jusqu'au ruisseau, le remontait sur environ 500m avant de grimper sur la pelouse de la pyramide rouge jusqu'à ce petit replat où souvent des biches étaient couchées. Ce trajet lui prenait à peu prés 1h 45. Voilà l'exemple type d'observation qu'il est impossible de faire en forêt.

Ma position en retrait me permettait de voir cohabiter sur la pelouse de la pyramide rouge 3 ou 4 groupes d'animaux. Lorsque le maître de place arrive, vers 16h 30, ce fragile équilibre est vite chamboulé.

La plupart du temps, un seul raire suffit à mettre en fuite tous ces petits cerfs satellites

Si par hasard l'un d'entre eux reste trop proche, le patron pique un petit sprint sur quelques dizaines de mètres.

Cela m'a offert l'occasion de faire quelques photos plus proches comme celle de cette petite 2ème tête qui s'arrête devant l'affût pour observer le pacha.

Voyant qu'il se dirige vers lui, il reprend sa descente vers le ruisseau en passant à quelques mètres de l'affût.

Celui-ci a bien tenté de faire acte de résistance en bramant une fois !

La puissance, la détermination et l'intensité du brame qui lui répond aussitôt suffit à le faire rentrer dans le rang et il s'éclipse en passant devant l'affût.

D'autres ne se posent aucune question et abandonnent la place, dès l'arrivée du maître de place.

Je pense que celui-ci, dans sa précipitation, serait rentré dans mon affût dissimulé sous un sapin, si le bruit des déclenchements ne l'avait alerté. Heureusement pour moi, il n'a pas pris le temps de réfléchir et a repris sa fuite rapide vers le bas de la pelouse.

Même constat pour celui-ci qui est passé à côté de moi sans me calculer, tout occupé à fuir qu'il était. Ces 2 avertissements ont achevé de me convaincre et je vais franchir le pas vers un hybride pour bénéficier d'un déclenchement silencieux, car s'ils avaient donné l'alerte, le spectacle aurait été gâché !

D'autres animaux ne descendent pas sur la place de brame et regardent tout cela du sommet rocheux qui domine la pelouse

Celui-là se prend pour un chamois et observe la scène depuis un rocher en surplomb.

Il y a aussi quelques biches qui profitent du spectacle. Peut-être sont-elles en train de jauger le maître de place ?

Celui-ci restera une dizaine de minutes à côté de l'affût pour raffûter une branche basse d'un sapin.

Maintenant, que la présentation des acteurs est terminée, il est temps de s'intéresser au maître de place.Après 2 affûts en retrait qui m'ont permis de bien comprendre, de bien analyser et de m'imprégner totalement des habitudes du maître de place et des biches, je change mon emplacement d'affût pour me rapprocher. J'utiliserai d'ailleurs 6 emplacements différents sur ces 12 affûts consécutifs en fonction des photos que j’espérai faire et pour changer un peu de perspective, car en montagne, un simple déplacement d'une dizaine de mètres vous ouvre parfois des horizons nouveaux. Comme décrit précédemment, à l'arrivée du maître des lieux, les cerfs satellites ne tardent pas à prendre la poudre d'escampette comme ce daguet.

Dans un premier temps, il descend sur la place de brame comme pour se l'approprier et marquer ainsi son territoire.

Ensuite, il s'attache à regrouper toutes les biches présentes qui, pour la plupart, sont sorties un peu avant lui. En voici une partie, car les 2 premiers jours, elles étaient 19. (biches, bichettes et faons confondus).

C'est un véritable spectacle pour moi et aussi un immense boulot pour lui qui demande discernement, tact, patience, stratégie, fermeté, douceur, savoir-faire et expérience. Ce n'est vraiment pas une sinécure de garder cantonnés 19 biches et faons sur une surface d'environ 1 terrain de foot quand elles en ont plus de 20 à disposition.

La beauté du spectacle réside surtout dans toutes les attitudes et les mimiques très codifiées du cerf.

Une de mes préférées est celle-ci quand tête haute, les bois légèrement renversés en arrière, il fait le pas espagnol, relevant les antérieurs avec excès et martelant le sol pratiquement sur place.

Parfois une biche prend un peu trop de liberté. Il s'éloigne à son tour pour aller la contourner et la ramener avec le reste du groupe.

La pyramide rouge, en plus de m'avoir inspiré un nom, semblait marquer la limite ouest à ne pas dépasser.

Cette animation durait environ 1 heure, ensuite les biches semblaient résignées et broutaient paisiblement côte à côte. Le cerf mettait à profit ces moments de calme pour se coucher, jamais bien loin et parfois même tout à côté.

Malgré un apparent endormissement, la vigilance reste de mise et au moindre effluve ou au moindre bruit, le voici debout.

Très rapidement, il monte sur la petite crête qui masque en partie ma vue et disparaît de l'autre côté sans que je ne comprenne pourquoi.

20 minutes plus tard, il revient, poussant devant lui une biche et son faon qu'il avait sans doute senti.

Cette dernière partie concernant mon brame 2023 sera entièrement consacrée à une journée exceptionnelle, rare, comme on en rêve tous ! Le 4 octobre, 11ème des 12 affûts consécutifs consacrés à ce cerf. Le temps était particulier, très chaud, mais perturbé de temps à autre par la montée de petites nappes de brouillard par la vallée et qui mettaient plus ou moins longtemps à se dissiper. Ce jour-là, je suis arrivé un peu plus tôt (11h 00) car j'avais décidé d'adopter un nouvel emplacement d'affût. En effet ma présence quotidienne les 10 jours précédents m'avait appris beaucoup de choses, notamment que le cerf maintenait le plus souvent « ses » biches à proximité de quelques sapins isolés dans la partie supérieure du fameux terrain de foot. Le temps d'aménager l'endroit, coupe de quelques branches, fabrication d'un siège en pierres récupérées sur le terrain et accrochage de ma toile et me voici à 12h 30, confortablement installé au point de corner ouest supérieur du terrain de foot. J'ai à peine le temps d'avaler mon frugal déjeuner quand je vois arriver une biche et son faon au sommet de la petite crête juste en face de moi. Le brouillard vient de se déchirer et il fait grand beau. Il est 13h 30 !

Contrairement à son habitude, « mon » cerf, précédé d'une seconde biche, les suis de près. En général, il ne sortait qu'une dizaine de minutes après les biches.

Je comprends tout de suite qu'il se passe quelque chose d'anormale. Je constate qu'il est agité et très excité. Il brame sur la crête à de nombreuses reprises et dans toutes les directions, pour mon plus grand bonheur.

Il sent avec insistance et application la place où la biche suitée est passée. Il muse. (c'est le terme exact consacré dans la littérature sur les cerfs.)

Il descend la crête en bramant tous les 3 pas et ne quitte pas la biche suitée des yeux.

Pour la coller , il la colle et brame à tous vents ! La biche, quant à elle, semble peu impressionnée et broute paisiblement.

Le temps s'écoule et il se fait de plus en plus pressant et démonstratif. Tirant la langue après s'être humidifié les naseaux pour augmenter sa capacité olfactive et lorgnant même un endroit précis

Vers 15h 30, les biches descendent un peu. Le brouillard, lui, remonte par la vallée. C'est une bonne nouvelle pour moi s'il ne devient pas trop dense. En effet, cela va me permettre de réaliser des photos avec une ambiance différente.

Promptement, le cerf ramène tout ce petit monde devant l'affût alors que la brume se déchire.

C'est à ce moment qu’apparaît sur la crête un cerf que je n'avais jamais vu auparavant. Au vu de sa corpulence et malgré sa ramure peu ramifiée, je me dis que c'est peut-être le seul cerf du secteur capable de tenir tête au maître de place. En effet, pour bien juger de l'âge et de la puissance d'un cerf, il faut occulter la ramure, dont l'ampleur fausse grandement notre jugement.A ma grande surprise, ce nouvel arrivant ne montrera aucun signe d'agressivité ou d'excitation, il ne bramera même pas et fera demi-tour au bout d'une petite minute. Peut-être que ces 2 cerfs se connaissaient et qu'une confrontation nocturne passée avait précédemment établie une hiérarchie.

Le maître de place n'esquisse pas non plus la moindre réaction, lui si vif à réagir habituellement. Il faut dire qu'il a d'autres chats à fouetter, tout occupé qu'il est à assurer la survie de l'espèce. Il couvrira la biche suitée 9 fois en 1h 15. Pour changer un peu, je vous présente ce cliché de face, sous le regard intrigué du faon.

Ce soir là, je suis restai de longues minutes dans mon affût, après l'heure limite pour pouvoir faire des photos, juste pour me repasser cet après-midi magique que je venais de vivre et savourer sans aucune modération le bonheur qui me submergeait Mon seul tout petit regret est que ce soit une biche et non pas « mon » cerf qui soit passé sur la petite crête, tout juste éclairée par la lune alors que le brouillard avait de nouveau envahi la vallée...