Cette année je consacre 6 semaines au brame. Début septembre je suis en montagne et même si rien ne brame encore, je profite des belles journées ensoleillées pour repérer de nouveaux lieux. Ce n'est pas vraiment le cas pour cet endroit mais il y a plus de 15 ans que je n'y étais pas venu. Vers 10h 00, j'aperçois un cerf sortir de la forêt à 400m de moi. A 12h30, ils sont deux et à bonne distance. Ils mangent paisiblement.
N'y voyez pas les prémices d'un combat, mais deux cerfs mangeant côte à côte, bien loin de l'excitation du brame.
Tout est calme et tranquille. Ils font bombance avant le brame. Ils resteront jusqu'à 16h devant l'affût avant de redescendre se coucher, non loin l'un de l'autre, à l'ombre, en bordure de forêt.
Le 16 septembre, je choisis de me rendre sur un versant exposé plein est, où les animaux sont en principe peu dérangés. Après 35 minutes de route, je gare ma voiture au sommet du col. Il me reste alors 3h 30 de marche à travers les pelouses, presque à plat (150m de dénivelé), pour accéder à mon emplacement d'affût. L'absence de sentier et la distance expliquent sans doute la tranquillité de ce coin. Lorsque je passe la dernière petite arête vers midi, j'aperçois un cerf couché à la limite supérieure de la forêt. Il est calme et je fais quelques photos à travers une touffe de rhododendron. Je rejoins ensuite discrètement mon emplacement d'affût à une cinquantaine de mètres de là.
Deux heures et trente minutes plus tard, le cerf que j'avais aperçu en arrivant sort devant l'affût.
Il broute tranquillement pendant plus d'une heure puis semble soudain intrigué. Il jette un regard vers le bas. Comme lui je regarde à travers les branches basses du sapin qui me sert d'affût et je constate qu'un autre cerf est sorti en bordure de forêt.
Rassuré, il se calme rapidement et se remet à brouter. Il choisit avec délicatesse les végétaux qu'il consomme.
Peu à peu il s'éloigne de l'affût.
Il retrouve en chemin un autre cerf plus jeune sur une petite arête rocheuse.
Le 20 septembre, le temps se remet au beau et je décide de retourner au même endroit. J'ai changé d'emplacement d'affût, car si habituellement 4 petits ruisseaux descendent de ce versant, cette année, le seul point d'eau restant est une petite source d'où suinte un mince filet. Les cerfs ont aménagé une souille dans la petite tourbière située quelques mètres en contrebas. Le moins, que l'on puisse dire, c'est qu'il y a foule, car je compte 7 jeunes cerfs et une biche dans un rayon de 100m autour de cette souille.
Comme vous pouvez le constater, on est bien loin de l'activité intense du brame. Tout est calme et paisible et je n'ai d'ailleurs pas encore entendu un raire en altitude et juste quelques-uns, la nuit, en bas, autour des villages. En repartant vers 19h30, je croise une petite harde. Voici la biche meneuse et son faon.
Le temps que je me couche dans l'herbe, la biche et son faon sont rejoints par une bichette.
Un jeune cerf arrive à son tour.
Le lendemain, je décide de retourner au même endroit en espérant pouvoir accéder à un emplacement d'affût situé à hauteur et à proximité de la souille. Pour cela, 2 conditions doivent être remplies : tout d'abord, le vent doit être bon et c'est le cas lorsque j'arrive vers 10h00. La seconde est qu'il n'y ait pas d'animaux de sortis sur le versant qui domine la souille. Malheureusement ce n'est pas le cas, car je repère au moins 3 jeunes cerfs et 2 biches couchés ou broutant juste sous le sommet. Il m'est impossible d'accéder à l'emplacement d'affût espéré sans les déranger. C'est la contrepartie négative de la grande tranquillité de ce coin, car beaucoup d'animaux ne rentrent pas en forêt et restent 24h/24 sur la pelouse. Les jours de chance, ils sont couchés dans un des petits ravins et en jouant avec le relief, je peux rejoindre mon emplacement d'affût, mais c'est rare et ce n'est pas le cas aujourd'hui. Je fais contre mauvaise fortune bon cœur, et je m'installe au pied du dernier sapin accessible, en face d'une petite barre rocheuse, qu'ils empruntent souvent pour descendre à la souille, comme cette biche. En ce qui concerne le brame, cela semble s'exciter. 2 cerfs brament sous futaie à environ 900m de moi depuis 19h00.
Lors de mon retour, nouvelle rencontre avec 2 biches pour quelques photos volées.
La montagne offre l'avantage d'avoir une vue très étendue, du moins si l'on « travaille » au dessus de la limite forestière. Pendant ces trois jours passés dans les affûts précédents, je pouvais observer aux jumelles un petit bout de pelouse situé sur l'autre versant de la vallée. Tous les midi je pouvais observer quelques animaux qui descendaient cette pelouse pour rentrer dans la forêt en dessous. Comme tout est encore bien calme, je décide en ce 22 septembre d'aller repérer cet endroit et de vous emmener à sa découverte avec moi. Vers 10h 30, une biche et une bichette apparaissent au sommet de la pelouse qui me fait face. Elles semblent calmes et descendent jusqu'à un petit replat devant l'affût. La première arrivée est la bichette.C'est d'abord ella qui s'élance dans la pente. Elle procède par petits bonds et semble s'amuser. Elle me fait penser aux jeunes enfants qui jouent à descendre les dunes en courant.
La biche jette un dernier regard vers l'arrière.
Elle s'élance à son tour dans la pente.
Elle rentre en forêt à 12m sur la gauche de mon affût.
Cette fois le brame semble vraiment débuter et je pourrais entendre plusieurs cerfs bramer dans la journée. Comme je ne peux pas tout vous montrer, j'ai choisi de vous raconter le fait le plus marquant de ce brame 2022. Paradoxalement, l'action se situe à mon retour de montagne dans le massif forestier proche de la maison. Le 10 octobre, vers 7h 30, je suis en bordure de la place de brame bien vide lorsque j'entends bramer une fois, à environ 500m. Aucun autre raire ne lui répond ! Je monte ma toile et je m'installe sans trop y croire. A 8h 15, un cerf sort et traverse la clairière sans s’arrêter et sans bramer. Au vu des croûtes qu'il arbore sur la tête et de l'état de son bois gauche, je me dis qu'il a pris cher et que ce n'est sûrement pas le maître de place.
Le temps s'écoule et rien ne se passe, tout est calme. Si l'espoir fait vivre, pour l'instant, c'est plutôt le doute qui s'installe. Le temps est doux, le cadre agréable, l'affût confortable, le vent est modéré, stable et régulier, j'ai de la lecture et de quoi manger ce midi et je me dis finalement que je suis aussi bien là, qu'à la maison. Les heures passent et j'alterne la lecture avec des phases d'assoupissement. Enfin, à 19h 00, j'entends un brame puissant à environ 400m en face de l'affût. Un autre, tout aussi déterminé, lui répond aussitôt sur ma droite un peu plus près de moi. Me voilà tout requinqué même si je me dis que d'ici qu'ils sortent, s'ils doivent sortir, il fera nuit. Le boîtier affiche 3200 iso ; f/4 ; 1/80éme. Soudain à 19h 26, un beau 12 cors sort sur la clairière. Le viseur affiche 5000 isos, f/4 et 1/60 éme. Il ne brame pas et marche d'un pas décidé.
Le bruit d'une branche cassée me fait tourner la tête et je vois qu'un autre 12 cors est sorti dans les hautes molinies qui bordent la clairière.
Ils sont trop proches de moi pour les cadrer tous les 2 et je dois choisir. Je décide de me focaliser sur celui qui est sorti le premier et qui est aussi le plus dégagé.
Ils marchent à 15 pas l'un de l'autre en roulant les épaules.
Ils se toisent en silence, reproduisant toutes les attitudes de l'autre. Si l'un s’arrête l'autre en fait autant, si celui-ci baisse la tête, celui-là le fait aussi... On dirait le jeu du miroir.
Ils approchent toujours, marchant au ralenti, décomposant tous leurs pas, se jaugeant l'un l'autre et tout cela en silence.
Je les entends maintenant respirer et je peux sentir leur odeur.
Voilà la dernière photo que je m'autorise, car je suis certain que si je continue, ils vont entendre les déclenchements, d'autant que l'autre est encore plus proche de moi.
Ils passent à quelques mètres de l'affût et font volte-face. Le premier sorti regagne le centre de la clairière alors que l'autre rentre en forêt par où il était sorti. Tout cela n'a duré que 6 minutes et dans un silence absolu. Le viseur affiche maintenant 12800 isos ; f/4 ; 1/160éme.
Le cerf qui est resté dans la clairière brame, maintenant, à tue-tête.
Il brame à tous vents et je profite pleinement du spectacle. J'imagine qu'il savoure sa victoire et qu'il veut clamer sa puissance à toute la forêt. J'ai en effet déjà souvent observé ces moments où les cerfs se défient visuellement jusqu'à ce que l'un abandonne et se replie renonçant ainsi au combat.
Soudain, alors que je suis focalisé sur « mon » cerf, je vois passer dans le viseur la silhouette d'une biche coursée par un cerf ! C'est « mon » second larron qui est ressorti en poussant « sa » biche dans la clairière, sans doute pour éviter qu'un troisième lascar ne lui dérobe en douce. Cette fois pas de préliminaires, le combat s'engage aussitôt ! Malgré la montée d'adrénaline, je vérifie machinalement les exifs, 12800 isos ; f/4 ; 1/80ème, et je me dis qu'il me faut choisir les moments de relative immobilité pour espérer des clichés à peu près nets.
Les bois s'entrechoquent et les claquements secs, si particuliers, résonnent dans toute la futaie. Mon cœur n'est pas en reste et ses battements résonnent également dans tout l'affût. Même si j'ai photographié plusieurs fois, ce spectacle, l'émotion m'envahit encore cette fois. Je dois pourtant la juguler et rester attentif à la technique.
Arc-boutés tête contre tête, ils tentent de se pousser de toutes leurs forces, bien campés sur leurs pattes. C'est impressionnant la puissance qui se dégage de cette confrontation. Tous les muscles sont contractés et je peux les voir rouler sous la peau.
Tour à tour, ils avancent ou reculent sous les coups de boutoirs et la poussée de leur adversaire. Difficile de désigner un favori, car chacun trouve encore les ressources pour repousser son adversaire.
Je les entends souffler, ahaner sous l'effort. Ils ont le souffle court. Une petite torsion du cou du cerf de droite pour tenter de renverser l'adversaire ou pour essayer de se dégager ?
Non, la soif de victoire est plus forte que tout et il fait front de nouveau !
Le cerf à droite sur la photo semble maintenant reculer et sous un ultime assaut, il rompt le combat et rentre en forêt. Cette altercation aura duré exactement 2 minutes, 2 minutes de pur bonheur et d'émotion, qui m'ont paru être une éternité !
Le vainqueur fête sa victoire en paradant dans la clairière.
A moins qu'il n'exprime sa colère après la biche qui s'est subrepticement éclipsée, sans même attendre la fin du combat !
Quant à moi, je préfère croire qu'il me fixe un rendez-vous pour l'année prochaine dans cette pénombre qui s'épaissit peu à peu.. Je resterai encore 20 minutes sur place avant de démonter ma toile et de m'évanouir à mon tour, dans la nuit profonde. 12H d'affût pour 18 minutes d'action, le ratio peut sembler bien faible et pourtant cette journée restera , pour moi, mémorable !
Bien sûr, je suis revenu les 2 jours suivants, mais je n'ai rien vu ni rien entendu. Ce combat était en fait le clap de fin.